Interview réalisée par Air Showjumper, Avril 2020  -

Interview réalisée par Air Showjumper, Avril 2020

Ulyss Morinda, Morfine de Muze et Lolita du Ta d’Bo, les trois atouts phares d’Hérica Ravel

Meilleur étalon pie en activité et issu de la souche de l’exceptionnelle Utricule, Ulyss Morinda (SF, par Utah van Erpekom, BWP x Jalisco B, SF) ne manque pas d’attirer l’œil de nombreux observateurs du jumping international. Monté par le Belge Rik Hemeryck, l’étalon est secondé par deux autres cracks en devenir, Morfine de Muze (BWP, par Nabab de Rêve, BWP x Tinka’s Boy, KWPN) et Lolita du Ta d’Bo (BWP, par Igor van de Vaddenhoek, BWP x Wandor van de Mispelaere, BWP). Rencontre avec Hérica Ravel, qui en est la propriétaire passionnée et passionnante.

Vainqueur durant l’été 2019 du Grand Prix CSI 4* de Bolesworth et huitième d’un beau Grand Prix à 1.55m au CSI 3* de Knokke, Ulyss Morinda n’en finit plus d’être remarqué sur la scène internationale avec son cavalier belge, Rik Hemeryck.

Dans l’ombre de ce couple se tient une propriétaire très investie, Hérica Ravel, qui n’est autre que la naisseuse de l’étalon Selle Français. C’est elle qui a fait le choix, il y a maintenant cinq ans, de le confier à l’un des meilleurs cavaliers belges, pour lequel elle a également fait l’acquisition de deux nouvelles montures en fin d’année 2019.

Airshowjumper (AS) : Avant le CSI 2* de Lier à la mi-février, où il a signé trois sans-fautes en trois épreuves courues, Ulyss Morinda n’était plus apparu sur les terrains de compétition depuis le CSI 5* de Dinard en août. Pourquoi avez-vous fait le choix de l’arrêter aussi longtemps ?

Hérica Ravel : En 2019, Ulyss avait fait une très bonne saison (remportant notamment le Grand Prix CSI 4* de Bolesworth, ndlr), et nous avions décidé de l’arrêter en août. Au CSI 5* de Dinard, il était fatigué et nous nous sommes dit, avec Rik (Hemeryck, ndlr), que cela suffisait. Nous pensons de plus que les chevaux ont un « capital saut », c’est-à-dire qu’ils peuvent fournir un certain nombre de sauts sur de grosses hauteurs, nombre évidemment différent pour chaque cheval. Alors, nous nous sommes dit que ce qu’Ulyss n’avait pas sauté en 2019, il le sauterait plus tard, d’autant qu’il n’a que douze ans cette année.

AS : Après le concours de Lier, Ulyss a pris début mars le chemin de Royan pour deux CSI 2*. Là, il a remporté, après un beau barrage, une épreuve à 1.45m qualificative pour le Grand Prix du deuxième week-end. Êtes-vous satisfaite de ce début de saison ?

H.R : Après avoir remporté cette épreuve Ranking à Royan, Ulyss a fait une petite faute dans le Grand Prix. Nous étions ravis de ce début de saison, et absolument rassurés quant au fait qu’Ulyss était toujours lui-même et qu’il était reparti dans le même état de forme que l’année précédente. Il s’est véritablement promené dans l’épreuve à 1.45m qu’il a remportée, et nous nous sommes alors dit que le cheval serait rapidement prêt pour retourner sur des Grands Prix à 1.60m. Cependant, Rik m’a dit ne pas vouloir aller trop vite afin de lui laisser le temps de bien se remuscler. Il tient beaucoup à Ulyss, qui est un excellent cheval, et ne voulait absolument pas se précipiter pour courir un CSI 4* ou 5* sous un mois.

AS : À Royan, Rik Hemeryck présentait également deux autres montures vous appartenant : Morfine de Muze et Lolita du Ta d’Bo. Ces deux chevaux y ont sauté des épreuves entre 1.30m et 1.40m. Pouvez-vous nous parler d’eux ?

H.R : Mon mari Thierry et moi avons acheté ces deux chevaux autour du mois de décembre. Rik croit énormément en Morfine, dont il possèdait 50% depuis ses six mois. Ce cheval a donc fait tout son apprentissage dans l’écurie HGS (Hemeryck Godart Stables, ndlr). Cela ne se voit peut-être pas, mais Morfine a énormément de sang et est même très sensible. Par contre, à l’obstacle, il ne se pose aucune question et ne fait aucun effort, il donne toujours l’impression de sauter des cavalettis ! Jamais il n’a eu ne serait-ce que l’idée de s’arrêter devant un obstacle ! Il n’a pas ou pratiquement pas tourné à quatre et cinq ans, parce que Rik n’aime pas faire tourner ses jeunes chevaux sur le circuit qui leur est dédié. À six ans, il a tourné sur les CSI réservés aux chevaux de six ans, dont les parcours sont généralement moins hauts que ceux que l’on trouve sur les Cycles Classiques en France. Il était encore en pleine progression physique, alors il arrivait que Rik ne coure avec lui que deux parcours au lieu de trois sur ces CSI. Morfine s’est vraiment déclenché à sept ans, comme Rik le prédisait. Je l’ai alors acheté en fin d’année 2019, et nous pensons maintenant qu’il a tout pour devenir un vrai crack. Il a montré tout son potentiel à Royan, où il a terminé cinq parcours sans aucune faute sur les six qu’il a courus. D’ailleurs, il provient d’une souche exceptionnelle, celle des extraordinaires Querly Chin et Narcotique de Muze II. Cette lignée a engendré bon nombre de performers, et la mère de MorfineHeroine de Muze, concourt elle-même dans les Grands Prix à 1.60m (sous la selle de Taizo Sugitani, ndlr).

Le très prometteur Morfine de Muze sur la piste de Royan © Séverine Moronval

Le très prometteur Morfine de Muze sur la piste de Royan © Séverine Moronval

Quant à Lolita du Ta d’B, elle est allée jusqu’à la finale des Championnats du monde des sept ans, à Lanaken, où elle a terminé dans le Top 20 sous la selle de Thierry Goffinet. Son ancienne propriétaire l’a ensuite confiée à Rik, dans le but de la commercialiser. Il a alors commencé avec elle sur 1.25m et 1.30m, et dès ce moment-là, j’ai adoré la jument. Après cela, elle a sauté facilement des parcours à 1.35m, puis des épreuves à 1.40m et 1.45m qu’elle a également sautées avec facilité. Ceci dit, à moins d’une grosse surprise, nous ne pensons pas que ce soit une jument pour sauter les Grands Prix à 1.60m – contrairement à Morfine – mais qu’elle pourra gagner les épreuves à 1.50m, ce qui est déjà plus que bien. D’ailleurs, je cherchais avant tout un cheval qui puisse qualifier Ulyss pour les Grands Prix en courant à sa place les épreuves qualificatives. Je n’osais pas dire que j’allais trouver un second cheval de Grand Prix, parce que ça ne court pas les rues, mais finalement j’ai l’impression que cela va être le cas de MorfineLolita a énormément de sang, c’est une jument bouillonnante que je juge « inarrêtable ». Elle est d’une générosité et d’un courage exceptionnels, surtout en piste où elle donne tout !

AS : Quel aurait dû être le programme des chevaux après cette tournée charentaise ?

H.R : Rik définit le programme au fur et à mesure de la saison pour la plupart de ses chevaux, selon ce qu’il sent sur les parcours. Pour les chevaux âgés et déjà aguerris, il dit parfois sur quels (gros) concours il souhaite aller, mais en général leur programme est plutôt fait en fonction des impressions qu’il a à cheval. Par exemple, s’il sent sa monture en grande forme, il peut demander à participer à un CSI 5*, mais il ne le dit pas trois mois à l’avance. On avait tout de même des concours prévus pour Ulyss, que l’on fait régulièrement, à savoir les CSI 3* de Maubeuge et 4* de Bourg-en-Bresse. Pour la suite, le programme n’était par contre pas trop défini, si ce n’est que Rik m’avait dit que Morfine sauterait des épreuves à 1.50m avant la fin de l’année. Lolita, par contre, devait rester un petit moment sur 1.40m pour ne pas la brusquer, avant de décider de la suite de son programme. Je sais qu’un jour, Rik voudrait retourner sur des très gros concours au sein de l’équipe belge. Moi aussi, j’aimerais bien faire ces concours-là, et c’est d’ailleurs pour cela que j’ai acheté des chevaux, parce qu’on ne se rend pas sur ces événements avec un seul très bon cheval, mais plutôt avec deux ou trois.

La démonstrative Lolita du Ta d’Bo, ici au CSI 2* de Royan © Séverine Moronval

La démonstrative Lolita du Ta d’Bo, ici au CSI 2* de Royan © Séverine Moronval

AS : Avec la crise sanitaire qui frappe actuellement la planète, tous les concours sont annulés et la reprise risque de ne pas avoir lieu de sitôt. N’avez-vous pas peur que cette longue période sans concours impacte négativement la carrière des chevaux ?

H.R : Pour nous, cette situation n’est pas catastrophique, car Ulyss n’a que douze ans, et c’est le moment où les chevaux arrivent à leur meilleur niveau. Quant à Morfine, il n’a que huit ans, alors ce n’est pas plus mal qu’il ne saute pas de grosses épreuves. Avec lui et Lolita, qui a neuf ans, nous avons encore le temps. Par contre, pour les personnes qui ont des chevaux de plus de quatorze ans, un arrêt en ce moment est peut-être plus grave.

AS : Dans ce contexte, comment vos chevaux sont-ils travaillés ?

H.R : Comme d’habitude, les chevaux vont au paddock tous les jours, et travaillent également beaucoup en extérieur. Ulyss ne saute pas du tout en ce moment. De toute façon, il ne saute jamais de gros obstacles à la maison, ni même au paddock sur les concours, car il n’aime pas ça. Il peut sauter n’importe quoi en piste, mais à la détente, Rik le garde sur des obstacles à 1.40m, au maximum 1.45m, y compris avant un Grand Prix à 1.60m. En ce moment, il part en trotting un jour sur deux, et travaille sur le plat avec Rik les autres jours. Morfine et Lolita, eux, sautent environ une fois par semaine. Ils travaillent sur des petits parcours à 1.10m, mais ont par contre sauté un plus gros parcours il y a environ une semaine (entretien réalisé le 23 avril, ndlr). Lolita a travaillé sur 1.40m, et Morfine sur un bon 1.50m, une hauteur sur laquelle il ne fournit toujours aucun effort. Rik m’a également dit qu’en Belgique, il était possible d’aller faire des parcours d’entraînement à l’extérieur, à condition que trois personnes au maximum soient présentes. Cette possibilité est vraiment là pour continuer à former les jeunes chevaux, mais cela n’a pas d’intérêt pour les miens.

Ulyss Morinda à Lanaken, dans l’épreuve « Sires of the World » © J-Image

Ulyss Morinda à Lanaken, dans l’épreuve « Sires of the World » © J-Image

AS : En plus de sa carrière sportive, Ulyss Morinda est un étalon demandé qui a déjà près de cent produits enregistrés en France, et d’autres encore à l’étranger. Gérez-vous sa carrière de reproducteur ?

H.R : Effectivement, c’est moi qui gère la carrière d’étalon d’Ulyss. L’entreprise Gènes Diffusion le propose aussi à son catalogue, dans le but de lui donner une visibilité supplémentaire. L’idée est que Gènes Diffusion touche sa propre clientèle, que je ne connais pas, par exemple sur les salons où l’entreprise est présente. Les gens qui connaissent déjà Ulyss, via le site internet des écuries Hemeryck-Godart par exemple ou le mien, passent par contre par moi, d’autant que c’est moi qui ai le carnet de saillie.

AS : Remarquez-vous un recul du nombre de saillies vendues cette année, imputable à la pandémie de COVID-19 ?

H.R : Il y a pour l’instant un léger recul, sans doute dû pour beaucoup à des causes financières. À l’inverse, pas mal de personnes profitent du fait que leur jument ne puisse pas sortir en concours pendant une longue période pour la faire saillir. Alors oui, il y a un recul, mais moins important que ce à quoi je m’attendais. D’ailleurs, cela est peut-être plus marqué en France que dans d’autres pays, parce que les Belges, les Suisses, les Anglais, les Allemands ou encore les Américains continuent à faire saillir.

AS : Certains étalons performers comme Quel Homme de Hus ou Quabri de L’Isle sont exceptionnellement distribués en semence fraîche cette saison en raison de l’arrêt des concours. Avez-vous songé à faire de même avec le vôtre ?

H.R : Rik n’en a pas très envie, et moi non plus, car nous ne voulons pas casser le rythme habituel d’Ulyss. Je n’ai pas besoin de paillettes de semence supplémentaires pour l’instant alors je ne vois pas l’intérêt d’embêter Ulyss avec la monte en ce moment, alors qu’il a ses habitudes chez Rik, où il va au paddock tous les jours par exemple et est monté par son cavalier.

AS : Quels sont désormais les objectifs à venir pour vos chevaux ?

H.R : Les objectifs vont d’abord dépendre de ce que l’on a le droit de faire, parce que pour le moment, on ne peut rien faire. Cela dépendra aussi de l’état de forme des chevaux lorsqu’ils reprendront. Je pense réellement que Rik ne se fixe pas d’objectifs, car c’est sa façon de fonctionner. Quant à moi, ce n’est pas mon rôle de choisir les objectifs, même s’il nous arrive souvent d’en discuter.

Timothée Pequegnot

https://airshowjumper.wordpress.com/

 

 

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